En 2014, l’Association francophone d’amitié et de liaison (AFAL) et deux autres associations agréées, Avenir de la langue française (ALF) et Défense de la langue française (DLF)[1], se sont conjointement constituées partie civile dans une procédure concernant l’information des consommateurs, à Paris.
Ces constitutions de partie civile ont été engagées à la suite d’un procès-verbal d’infraction, conformément à l’article 18 de la loi, dressé en l’occurrence par la direction départementale de la protection des populations du Bas-Rhin. C’est le lieu du siège de la société mise en cause, Paris, qui a déterminé la compétence de la juridiction de proximité près le tribunal de police de Paris.
Ces constitutions de partie civile ont visé des affiches annonçant des prix réduits sur divers articles d’habillement et libellés exclusivement en anglais. Les associations ont obtenu gain de cause dans cette procédure.
Parallèlement, le tribunal correctionnel de Paris, statuant le 15 mai sur l’opposition formée par la partie condamnée à un jugement rendu en 2013 et favorable aux associations[2], l’a confirmé.
On peut s’interroger sur le nombre très symbolique des procédures.
Si la loi a reçu une certaine application au début de son entrée en vigueur avec 127 décisions de justice rendues en 1997[3], la tendance a été à une diminution relativement constante de cette application avec 20 décisions en 2013[4]. On constatera que ce chiffre est inférieur aux deux dernières années d’application de la loi précédente, celle du 31 décembre 1975 relative à l’emploi de la langue française avec 22 décisions pour chacune des années 1992 et 1993[5].
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette baisse.
- La tendance à considérer comme mineures les infractions et à ne pas dresser de procès-verbal.
- La tendance à viser les infractions sur d’autres textes que celui de la loi du 4 août 1994 dans certains domaines (c’est le cas notamment des denrées alimentaires).
- La tendance, qui semble se développer, à viser les infractions sur des textes généraux, comme ceux sur la non-conformité ou le défaut de sécurité des produits.
- Une certaine tendance des procureurs de la République à classer un nombre non négligeable de procédures, sans compter le choix des officiers des ministères publics à recourir fréquemment à la procédure des ordonnances pénales, procédure non contradictoire, qui ne permet pas aux associations d’agir.
Face à cette situation et jusqu’au 30 septembre dernier, les associations étaient liées aux actions de contrôle des pouvoirs publics. Selon l’article 18 de la loi, les infractions devaient être constatées par des procès-verbaux que dressaient des autorités habilitées. Ce régime a conduit à une diminution de leurs actions par rapport au régime antérieur de la loi du 31 décembre 1975. Sous son empire, l’Association générale des usagers de la langue française (AGULF), par exemple, sans être liée par l’établissement préalable d’un procès-verbal d’infraction, agissait par la voie de la citation directe[6].
Le régime procédural a changé avec l’entrée en vigueur, le 1er octobre, de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite loi « Hamon ». Son article 107 abroge l’article 18 de la loi du 4 août 1994.
Avec cette abrogation, les associations recouvrent, comme l’AGULF, à la fois le droit de constater elles-mêmes les infractions, conformément au régime de droit commun de liberté de preuve posé par l’article 427 du code de procédure pénale, et la possibilité d’agir par la voie de la citation directe.
Ce nouveau régime est de nature à leur permettre de contribuer au renforcement de l’effectivité de l’application de la loi : elles sont certaines de voir les procédures qu’elles engagent être jugées et non, selon le régime antérieur, être dans une proportion importante classées sans suite par le procureur de la République ou être jugées par la voie des ordonnances pénales ainsi que de faire appliquer la loi comme elles le souhaitent sans être liées aux choix procéduraux des autorités de contrôle. Enfin, ce régime est de nature à leur permettre de faire appliquer le texte législatif dans des domaines où, à notre connaissance, il ne faisait pas l’objet de contrôles et dans lesquels les infractions apparaissent fréquentes, à savoir, en premier lieu, les documents de programmes des manifestations publiques (colloques, congrès…) et les offres d’emploi.
Ce nouveau régime procédural donne sans aucun doute la possibilité aux associations de rendre plus effectif un « droit à la langue française » par une mise en œuvre législative facilitée de l’article 2, alinéa 1, de la Constitution, selon lequel « la langue de la République est le français ».
Jean-Claude Amboise
[1] Ces trois associations, auxquelles s’est joint le comité national français du Forum francophone des affaires (FFA), sont agréées par arrêté conjoint du garde des Sceaux et du ministre de la Culture et de la Communication pour exercer les droits reconnus à la partie civile dans un certain nombre de domaines d’infractions à la loi du 4 août 1994.
[2] Voir Liaisons, n° 75, mai 2014, p. 17.
[3] Délégation générale à la langue française (1998), Rapport au Parlement sur l’application de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, p. 21.
[4] Délégation générale à la langue française et aux langues de France (2014), Rapport au Parlement sur l’application de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, p. 18.
[5] Délégation générale à la langue française (1998), op. cit., p. 21.
[6] On notera que cette association ne bénéficiait d’aucun agrément. La jurisprudence avait reconnu l’AGULF recevable à agir en retenant son objet : la défense du patrimoine linguistique et culturel des usagers de la langue française. L’octroi par l’État d’un agrément à des associations qui ont pour objet statutaire la défense de la langue française constitue une disposition nouvelle de la loi du 4 août 1994 (voir Jean-Claude Amboise, « Le dispositif d’agrément des associations de défense de la langue française », dans Délégation générale à la langue française et aux langues de France, Langue française : une loi pour quoi faire ?, Actes de la journée d’étude du 13 octobre 2014, Palais du Luxembourg, Paris [à paraître]).
* Me Jean-Claude Amboise, docteur en droit, est avocat des associations agréées : Association francophone d’amitié et de liaison, Avenir de la langue française et Défense de la langue française.