Agora Francophone, décembre 2022
L’AFAL vous informe :
INFOLETTRE 301 – DÉCEMBRE 2022
La langue française brûle ! Qui s’en soucie ?
Vocabulaire réduit au triste minimum et syntaxe tordue en tout sens. La lecture de nos messages devient de plus en plus déprimante et de moins en moins compréhensible. La Francophonie d’aujourd’hui retourne la maxime de Nicolas Boileau (ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément) : Ce qui s’énonce en charabia, mal se conçoit. Et les mots pour ne rien dire arrivent dans le brouillard.
Constat de « has been » me rétorquera-t-on. Quitte à se faire insulter autant l’être en français. Merci de remplacer « has been » par « vieux con ».
Parlez-vous « globiche » ?
Depuis 1964, année de la parution de l’indémodable livre de René Etiemble Parlez-vous franglais, l’invasion de l’anglo-américain dans la langue française n’a cessé de progresser. Désormais, une nouvelle étape est franchie : on remplace directement le français par l’anglo-américain ou plutôt le « globiche » ou « globish », son avatar gluant et misérable, sabir réduit à quelques mots pour balbutier des échanges utilitaires. Impossible d’articuler une pensée avec ça.
Un épisode récent a provoqué dans mes narines une subite montée de moutarde. Forte, la moutarde, car amère, la provocation.
Un excellent ami, sympathique au demeurant (c’est presque pire) m’envoie ce texto à la suite à la suite d’un de mes appels : Can I call you later ? Et c’est tout. Pas de clin d’œil. Qu’un Français s’adresse en anglo-amerloque à un Suisse romand, il n’y a rien là de plus normal. Et sur la carte de visite du copain aucune surprise de lire : « Chief Business & Strategy Officer ». Etatsunienne sa boîte ? Non, française, basée à Paris. Non pas Paris, État du Texas mais bien Paris, Île-de-France.
Le mauvais exemple vient de très haut
Bien sûr, mon pote anglomane n’est point le seul de son espèce. Le mauvais exemple venant de très haut, les ministères français utilisent l’anglais à tour de langue (très chargée, la langue). La lecture du Rapport sur la communication institutionnelle en langue française en administre la consternante confirmation. Il a été rédigé par l’Académie française qui l’a adopté le 33 février dernier (lire ici le document complet). C’est un florilège d’horreurs et il est fort malaisé d’en distinguer une en particulier.
« Ma French Bank utilise des cookies »
Nous avons pêché celle-ci émanant du Ministère de l’agriculture et de l’alimentation à propos de la start-up Agriloops : « Nous avons eu le soutien du FoodInn Lab d’AgroParisTech pour notre première phase de tests, de l’incubateur public Agoranov pour le business development. Vous lancez votre boîte dans la Foodtech et vous avez besoin d’un accompagnement scientifique et de lieux pour expérimenter ? Rejoignez le Food’Inn Lab d’AgroParisTech ! ».
Vous n’avez pas tout vu. Les académiciens ont extirpé cette chose d’une publicité bancaire :
MA FRENCH BANK « Mon French mag’ » « Les bons TIPS pour ouvrir mon compte en ligne. Dans les starting blocks ? Ma French Bank utilise des cookies. » « Services offerts : Le French à la cool / Let’s Cagnotte / We Partage » « Mon French Mag : Retrouvez nos dernières news ; Dites oui à la French actu. » (« Ma French Bank est une banque mobile, filiale à 100% de La Banque Postale). »
Banque postale ? Poste bancale plutôt. La langue de Voltaire, Rousseau, Balzac, Simenon, Césaire, Eluard, Cendrars ou Camus est donc en passe d’être reléguée au rang de patois.
Je découvre the Moon ? Il est vrai que les universités françaises proposent des formations en anglais. Depuis fort longtemps les scientifiques n’échangent qu’en anglo-américain.
En Suisse, un officier m’a assuré qu’il est de plus en plus utilisé entre militaires alémaniques et romands. Bientôt nous passerons de quatre langues nationales à cinq, puis à une, lorsque l’anglo-américain aura bouffé les quatre autres.
La loi 101 au Québec
Normalement, tout pouvoir politique devrait s’émouvoir en constatant cette destruction de ce qui fait la substantifique moelle d’une culture.
Les Québécois, eux, ont pris la mesure du danger (ils sont en première ligne) en adoptant la Charte de la langue française ou Loi 101. Exemple de cette législation offert par son article 58 : L’affichage public et la publicité commerciale doivent se faire en français. Ils peuvent également être faits à la fois en français et dans une autre langue pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante.
Et en France ? Rien ou si peu. Pour redresser la situation, on ne saurait compter sur le président Macron, le plus conflit en franglaiserie de tous les locataires de l’Elysée. C’est tout de même lui qui a diffusé, le 29 mars 2018, ce Touite d’un ridicule achevé : « Je crois dans l’autonomie et la souveraineté. La démocratie est le système le plus bottom up de la terre ». Il y a des coups de pied au bottom qui se perdent !
L’ère des « helpers » et autres « community managers »
Emmanuel Macron aime à se parer des plumes du paon littéraire en utilisant des termes alambiqués qui font faussement érudit. Mais ce mince vernis se craquelle vite sous l’effet de l’americanolâtrie. Prouit de l’hypercapitalisme financier, le président français ne peut penser qu’étatsunien, parler étatsunien, écrire étatsunien.
En tant que correspondant à Paris, j’avais pu d’emblée m’en rendre compte à l’occasion de la fête donnée par les partisans d’Emmanuel Macron à la Porte de Versailles, le 23 avril 2017.
Les petites mains de la Macronie avaient pour titre, helpers et leurs supérieurs, community managers. Exemple parmi d’autres glanés dans mes notes de l’époque ; un community manager avait morigéné en ces termes une bande de helpers à peine moins âgés que lui : « Les gars, désolé, mais votre communiqué n’est pas snackable ». Ce snack m’est resté sur l’estomac.
Bref, le ton du macronisme débutant était donné : go to the start-up nation ! Ce péché originel n’a fait que croître et enlaidir.
Les seuls à réagir contre ce phénomène délétère, hélas, se trouvent à l’extrême-droite et dans une moindre mesure, à l’extrême-gauche.
Le « grand plan d’urgence » de Marine Le Pen
Lors de la récente campagne présidentielle, Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français, a lancé cette salve contre le président de la République : « Non seulement, il n’a rien fait pour respecter la Loi Toubon qui est quotidiennement foulée aux pieds dans les commerces, la télévision, la publicité, mais encore il a plus d’une fois donné le mauvais exemple » (voir le site qui recense les positions des candidats à la présidentielle 2022).
Mais c’est surtout l’extrême-droite qui a émis des propositions pour sauvegarder l’emploi de la langue française en s’inspirant souvent de la Loi 101 du Québec. Au cours de la campagne électorale de 2022, Marine Le Pen a déclaré à la presse qu’elle voulait lancer « un grand plan d’urgence » pour sauver la langue française et « rétablir l’usage exclusif et irremplaçable du français dans tous les usages qui fondent et forment notre civilisation » (lire aussi ici).
Les autres élus ne se montrent guère loquaces à ce propos. Du côté de la France Insoumise de Mélenchon, on cherche à promouvoir l’écriture inclusive. Du côté des centristes du Modem et des écologistes, on préfère défendre les dialectes régionaux.
Le Rassemblement national de Marine Le Pen s’engage donc sur ce boulevard que les autres formations politiques lui ont ménagé. Situation calamiteuse.
Défense de la langue diluée dans la xénophobie
Tout d’abord, la défense de la langue se voit ainsi diluée dans un ensemble marqué par la xénophobie, au même titre que la lutte contre l’immigration. Cette confusion nuit considérablement à la défense du français dans la mesure où celle-ci apparaît comme un argument teinté de racisme, ce qui ne peut que la déconsidérer aux yeux d’une grande partie de la population.
D’autant plus que la défense de sa langue devrait être l’affaire de tous et ne pas rester coincée dans les extrêmes du paysage politique.
Victoire de l’ordinateur contre le « computer »
Contrairement à ce que les americanolâtres prétendent, la cause du français n’est pas perdue. Malgré la franglomanie macronienne, un organisme du Ministère français de la culture fait du bon travail. Il s’agit de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF). C’est notamment grâce à son action que des objets technologiques nés en anglais ont été naturalisés français. Parmi eux, deux sont d’un emploi constant : on parle désormais d’ordinateur et de logiciel en lieu et place de computer et de softeware, comme le relève le linguiste Bernard Cerquiglini, ancien délégué général, dans l’hebdomadaire Marianne.
Il faudrait, néanmoins, que ses efforts soient mieux soutenus et surtout ne pas être torpillés par la communication macronienne qui pratique qui pratique l’inverse de ce que préconise sa propre Délégation générale.
Et les médias ?
Cela dit, il appartient aux médias de balayer devant leur porte. Longtemps vigie du bon usage de la langue, France-Culture se laisse envahir depuis peu par le français, ce qui ne peut qu’encourager les autres stations à foncer encore plus vite sur cette pente lamentable. Et l’observation vaut pour tous les supports, radio, télévision, site électronique.
Une autre méthode de sauvegarde consisterait aussi à s’inspirer de l’espagnol qui digère les mots anglais pour les « futebol ». Pourquoi ne pas écrire « blogue », « ouèbe », par exemple ? Et merci une fois de plus aux Québécois qui nous ont donné le joli « courriel » à la place de l’inélégant « mail » prononcé généralement de façon caprine : « mèèèèèle » !
La persuasion ne sera sans doute pas suffisante, tant la puissance de la mercatique anglo-américaine se révèle imposante. A l’instar de la Loi 101 québécoise, il faudra adopter des mesures qui contraignent les administrations, les médias et les agences de publicité à bannir l’anglais, sauf exceptions à définir.
Que chacune (chacun) soit pénétré de cette évidence : sauvegarder sa langue c’est sauver ce qui est de plus intime en nous et qui nous fait êtres humains libres.
Jean-Noël Cuenod, Journaliste, blogueur, poète
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Cet article est paru jeudi 15 décembre 2022 dans le magazine numérique BON POUR LA TÊTE-Média indocile https://bonpourlatete.com/
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