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Brexit: pourquoi l’Union européenne ne parlerait-elle pas désormais français? – AFAL

Brexit: pourquoi l’Union européenne ne parlerait-elle pas désormais français?

L’AFAL vous informe :

Un article ci-dessous que Le Figaro vient de mettre en ligne : 

https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/francophonie/brexit-pourquoi-l-union-europeenne-ne-parlerait-elle-pas-francais-20210201

Brexit: pourquoi l’Union européenne ne parlerait-elle pas désormais français?

ANALYSE – Le Royaume-Uni sorti de l’Union européenne, l’anglais reste seulement la langue officielle de deux États membres, l’Irlande et Malte.

Par Alice Develey – Publié le 01/02/2021

Un mois après la mise en application du Brexit, la langue de Boris Johnson est encore et toujours officielle au sein des instances européennes. Shocking! D’autant que l’anglais reste seulement la langue officielle de deux États membres, l’Irlande et Malte, et qu’il ne correspond plus qu’à la langue maternelle d’une minorité, ce qui représente 1,2 % de la population en Europe (contre 13 % avant le départ des Britanniques), selon Le Point. Un chiffre bien en deçà du français (~15 %) qui demeure l’une des deux autres langues de travail au sein des institutions.

C’est un fait, aujourd’hui l’Europe est moins anglophone que francophone. Au sein des pays membres de l’Union, le français est parlé par 118,8 millions de personnes, selon les données de l’Observatoire de la langue française. Sans compter que le français est la deuxième langue la plus apprise dans le 1er cycle du secondaire en Europe, elle demeure la troisième langue des affaires, la quatrième sur internet par le nombre d’utilisateurs et la cinquième langue la plus parlée dans le monde. Alors, quel intérêt aurions-nous à conserver l’anglais comme l’une des langues officielles tandis que le Royaume-Uni est sorti de l’UE?

« La démarche qui est faite vers l’anglais est utilitaire. Cela peut donc donner un anglais diminué par rapport à la bonne syntaxe des natives » Christian Lequesne, professeur de science politique à Sciences Po.

«Il faut d’abord se rappeler que l’anglais n’est pas seulement la langue des Britanniques, indique Christian Lequesne, professeur de science politique à Sciences Po. De nombreux échanges se font donc dans l’Union en anglais sans eux. C’est une langue internationale, de travail et qui est apprise en priorité comme langue étrangère dans de nombreux pays du monde, y compris ceux de l’Union européenne.» En comparaison, «si le français est une langue qui continue à être apprise, elle n’est plus maîtrisée comme langue de travail de la même manière que l’anglais, ajoute le politologue. Dans la génération des plus de 60 ans en Europe du Sud, il était commun d’apprendre le français en tant que première langue. Or, le monde a changé.»

On le comprend, faire le choix de l’anglais, ce serait opter pour la langue de tout le monde. «L’intérêt de la langue anglaise c’est qu’elle permet une compréhension de tous, explique Bruno Fuchs, député du Haut-Rhin. Lorsque vous la parlez, vous êtes sur un pied d’égalité et donc, c’est un facteur de lien.» Au sein d’une Union où 24 langues sont officielles, c’est-à-dire que la législation et les actes juridiques doivent être traduits dans celles-ci, il faut avouer que c’est utile. D’où les trois langues de travail… Mais au sein d’une Union où 22 États membres ne sont pas anglophones, quid de la qualité de cet anglais?

Des anglophones favorisés

«Beaucoup de non-anglophones de naissance parlent un anglais moyen mais suffisant pour travailler, remarque Christian Lequesne. La démarche qui est faite vers l’anglais est utilitaire. Cela peut donc donner un anglais diminué par rapport à la bonne syntaxe des natives.» Bruno Fuchs va plus loin: «Cet anglais est un globish qui entraîne un appauvrissement de la pensée et donc, de la capacité à dialoguer.»

L’idée d’un anglais qui serait plus simple ou plus efficace est pourtant un mythe, relève avec pertinence Jean Pruvost, professeur d’université émérite et auteur de La Story de la langue française (Tallandier)«Très souvent le mot anglais est moins précis que le mot français, parce qu’il s’agit d’un mot générique, de sens très large susceptible de bien des interprétations. Quant à l’argument consistant à dire que l’anglais est plus court en nombre de signes pour le même message, c’est presque toujours au détriment de la précision. Est-on gagnant?» Sûrement pas.

Bruno Fuchs l’a constaté: «Cela a favorisé les Anglais dans l’Europe qui ont pu positionner à des endroits stratégiques des anglophones. On s’est aperçu que le service des recrutements était piloté par un Anglais. Or, tous les tests étaient faits sur des bases anglophones. Cela a dénaturé les schémas d’entrée et de recrutement.»

« Il y a un certain plaisir ludique d’ancien élève à dire quelques mots en anglais et une forme de naïveté puérile à penser être à la mode en égrenant des mots anglais dans son français » Jean Pruvost, lexicographe

Pourquoi donc l’Europe ne se remettrait-elle pas à parler français? D’abord, parce que ce sont les Français eux-mêmes ont qui abandonné leur langue, avance Bruno Fuchs. «Comme les dirigeants à Bruxelles ont choisi de parler anglais pour montrer qu’ils faisaient partie d’une élite, les Français ont suivi le mouvement afin de prouver qu’ils étaient de bons européens.» Ensuite, même si l’anglais parlé est moyen et «s’il y a un certain plaisir ludique d’ancien élève à dire quelques mots anglais, il y a dans le même temps une forme de naïveté puérile à penser être à la mode en égrenant des mots anglais dans son français. Une mode ridicule aux yeux d’une immense majorité. S’ils savaient ce que pensent les personnes ainsi bombardées, ils prendraient conscience qu’un français précis et élégant serait plus efficace», analyse Jean Pruvost.

Enfin, pour des raisons très pratiques, l’Union européenne ne souhaite pas changer ses règles ainsi qu’elle l’expliquait déjà en anglais (ou gaélique mais pas en français) il y a cinq ans après le référendum sur le Brexit. S’il fallait un signe de plus pour prouver la détermination des instances à ne rien changer de leur politique linguistique, le nouveau parquet européen chargé de la lutte contre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne, note Libération, a «décidé de travailler uniquement en anglais».

En théorie et en pratique

En vérité, le problème n’est pas tant l’usage de l’anglais que son hégémonie et les contradictions qu’elle met en lumière. À l’article 3.3 du Traité sur l’Union européenne (TUE), il est précisé que l’Union «respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen». De la même façon, on lit à l’article 22 de la Charte des droits fondamentaux que «l’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique». Or, si en théorie l’anglais figure comme le français et l’allemand parmi les trois langues de travail, dans les faits, elle est prédominante. «Tout est écrit dans les textes mais nous avons abandonné le respect des engagements que nous avons pris», déplore Bruno Fuchs.

Dans son rapport de la mission parlementaire, 31 recommandations pour promouvoir le français et le multilinguisme dans les institutions européennes, daté de 2019, coécrit avec Sorin Cimpeanu, député roumain et Hamza Fassi-Fihri, député belge, Bruno Fuchs dénonce le «mythe» des langues de travail. «Dans certaines réunions, malgré la présence de nombreux francophones, on passe très vite, trop vite, à l’anglais pour une seule personne qui ne comprend pas», peut-on lire. Christian Lequesne opine: «Le problème se situe dans ce qui fait le quotidien d’une institution. Prenez les réunions de travail au sein de la Commission européenne. Quand un Danois, un Estonien et un Belge flamand essaient de travailler une proposition sans traduction, ils s’expriment en anglais. Ce n’est pas pour rien que l’anglais est la langue principale de production des documents originaux au sein des institutions européennes. Un certain nombre de fonctionnaires européens ne maîtrisent pas la langue française.»

« Il y a une grande partie des textes qui ne sont plus traduits et quand ils le sont, ils sont traduits trop tard » Bruno Fuchs, député.

D’après des chiffres de la direction générale de la traduction de la Commission européenne, que l’on retrouve dans le rapport de Bruno Fuchs, Sorin Cimpeanu et Hamza Fassi-Fihri, «en 1970, 60 % des documents pour lesquels une traduction était demandée étaient originellement rédigés en français et 40 % en allemand. En 2017, le français est passé à 2,58 %, l’allemand à 2,02 %, l’anglais à 84,38 %». Même si «à la Cour de justice, le français est toujours resté la langue de procédure» nuance Christian Lequesne, il est bien loin ce temps où Umberto Eco pouvait s’écrier: «La langue de l’Europe, c’est la traduction.»

Selon certaines estimations, lit-on plus loin dans le rapport, «70 % des textes produits ne font jamais l’objet d’une traduction. Aujourd’hui tous s’accordent pour reconnaître que la langue de travail de la Commission est l’anglais, de même que la langue des communications internes de toutes les institutions pour des raisons de facilité, d’homogénéité.» Ce qui est problématique pour une question évidente de compréhension mais aussi de budget. Une étude réalisée par deux professeurs d’économie, publiée dans Regards Economiques, révèle que le coût de l’anglais pèse près d’un tiers du budget «langues» de l’Union européenne, soit 290 millions d’euros. «Le Brexit a sans doute comme conséquence que les autres pays de l’UE devront ‘prendre en charge’ le coût des traductions et interprétations de et vers l’anglais», expliquent les deux chercheurs, comme l’écrit L’Écho.

Le problème de la traduction se lit aussi sur les sites internet des institutions européennes ainsi que le regrettent les députés, qui dénoncent «une discrimination massive à l’égard des autres langues que l’anglais». Il suffit en effet de se balader sur le site de la Commission pour le constater. En deux clics seulement, les contenus proposés apparaissent déjà en anglais. Idem sur le site du Parlement et de la Banque centrale européenne. Sur le site de la Cour des comptes, la page principale mélange contenus anglophones et francophones, alors que la langue cible est censée être le français.

Pour inverser cette tendance, Bruno Fuchs souhaite fixer des quotas :«Réduire à 50 % dans les trois prochaines années puis 30 %, les textes en anglais. Il y a une grande partie des textes qui ne sont plus traduits et quand ils le sont, ils sont traduits trop tard. Cela en oblige certains à prendre des décisions dans un anglais qu’ils ne maîtrisent pas nécessairement. Tout se fait au préjudice de la démocratie et surtout, au préjudice de la proximité entre le citoyen et l’institution européenne.»

« Le rapport d’Amin Maalouf dit qu’il faut être trilingue et c’est la promesse d’Emmanuel Macron : que chaque Français soit trilingue » Bruno Fuchs.

Il ne s’agit pas pour autant de remplacer l’anglais par un hégémonisme français.«Imposer l’usage du français, cela devient une démarche politique, explique Christian Lequesne. Or pour rendre une langue attractive, il ne faut pas l’imposer. C’est tout le paradoxe! Quand on a une position défensive ou directive à l’égard d’une langue, cela ne marche pas.» Que faire donc? «Le vrai combat à mener se situe au niveau du multilinguisme. S’il est important de défendre le français, il est aussi important de dire qu’il faut continuer à apprendre l’allemand, l’italien, l’espagnol, le russe…»

En somme, pour défendre le français, il faut défendre le plurilinguisme.«À travers l’anglais, il y a une pensée unique, or, avec le multilinguisme, nous sommes dans une richesse de pensées, avec une vision du monde multipolaire. La francophonie, c’est le plurilinguisme», clame Bruno Fuchs. Et de préciser: «Le rapport d’Amin Maalouf dit qu’il faut être trilingue et c’est la promesse d’Emmanuel Macron: que chaque Français soit trilingue.»

Jean Pruvost est aussi de son côté convaincu qu’il faut encourager le «plus d’une langue» prôné par Barbara Cassin, en sachant que «bien apprendre une autre langue c’est aussi maîtriser sa propre langue, en connaître les excellentes ressources. Les anglicismes sont souvent la marque d’une insuffisance dans la maîtrise de sa propre langue». Christian Lequesne conclut: «Il faut insister pour que tout fonctionnaire des institutions européennes maîtrise deux langues étrangères en plus de sa langue maternelle. Si l’on disait cela, on aurait de fortes chances d’améliorer la place du français. Mais pour cela, il faudrait que cette idée fonctionne déjà chez nous. Cela demande donc de réfléchir à notre propre apprentissage des langues étrangères en France.»

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