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SUR LE BOUT DES LANGUES, article de Michel Feltin-Palas – AFAL

SUR LE BOUT DES LANGUES, article de Michel Feltin-Palas

Pourquoi dit-on un « petit t-ami » et pas un « chat t-affamé » ?En réalité, ces liaisons que maîtrisent naturellement ceux qui ont le français pour langue maternelle sont beaucoup plus complexes qu’elles n’en ont l’air.
Si, comme moi, vous êtes francophone de naissance, vous dîtes « les Z-oranges », « un petit T-ami » ou encore « le premier R-acte ». Tout naturellement, vous prononcez la dernière consonne d’un mot lorsque celle-ci précède un autre mot qui commence par une voyelle. C’est ce que l’on appelle une liaison. Mais ce procédé qui n’a l’air de rien pose en fait une foule de questions auxquelles répondent avec intelligence et esprit deux universitaires, Laélia Véron et Maria Candea, dans le dernier livre qu’elles viennent de publier (1).
Avez-vous remarqué, par exemple, qu’il existe des liaisons interdites ? Jamais vous ne diriez « un chat T-affamé ». Et pourtant, il y a bien une consonne à la fin de « chat » et une voyelle à l’initiale d' »affamé ». A l’inverse, il ne viendrait à l’idée de personne de ne pas faire la liaison entre les et enfants. Tout francophone qui se respecte dira « les Z-enfants » et cela ne souffre aucune discussion. Et puis, il y a un large entre-deux où la liaison est possible. Que vous indiquiez sur votre répondeur : « Je suis absent. Vous pouvez me laisser R-un message » ou « Je suis absent. Vous pouvez me laisser un message », personne ne sera choqué. 
Enfin, personne, c’est à voir… Car ces liaisons théoriquement facultatives constituent dans certains milieux un critère permettant de classer les individus en deux catégories : les « sachants » et les autres… Ce n’est pas un hasard si l’Académie française considère que cette prononciation est une marque de « correction et d’élégance ». Pas un hasard non plus si Jacques Chirac – issu de la grande bourgeoisie et marié avec une aristocrate, rappelons-le – poussait le bouchon encore plus loin en pratiquant la liaison sans enchaînement : « DepuiZ (une pause)… un quart de siècle ». 
S’il est des liaisons prestigieuses, il est aussi des liaisons fâcheuses. Si je puis me permettre un conseil d’ami, évitez autant que faire se peut de lancer « trente Z-opérations », « moi Z-aussi » et autres jonctions « mal-T-à propos ». Certaines de ces erreurs, pourtant, s’expliquent. C’est sans doute parce que l’on dit « deux Z-amis » et « trois Z-amis » qu’emportés par notre élan, nous enchaînons avec « quatre z-amis ». Et c’est à force d’entendre « les Z-yeux » que l’expression « entre quatre z-yeux » est entrée dans le langage courant.
Autant vous dire que la maîtrise de ces fichues liaisons n’a rien d’évident pour les étrangers qui nous font l’amitié d’apprendre notre langue. Car certaines ne vont pas du tout de soi. Prenez la préposition « aux », par exemple. Comme le remarque la chroniqueuse de RTL Muriel Gilbert (2), on ne dit pas « aux X-enfants » mais « aux Z-enfants » : le X devient Z par le miracle de la liaison ! Même tour de prestidigitation avec « quand » qui voit le « d » se muer en « t » comme dans cette phrase : « Quand T-il est arrivé » tandis qu’à l’inverse, le malheureux qui s’aventurerait à prononcer « Le grand D-escalier » au lieu du « grand T-escalier » susciterait la perplexité la plus totale. Quant aux « h », ils autorisent ou non la liaison selon qu’ils sont issus d’un mot apporté par les Romains (les z-hirondelles) ou par les Francs (les / halles). Sachant naturellement – sinon, ce serait trop simple – que cette règle souffre quelques exceptions (suivre plus haut le lien vers la rubrique « Lire aussi »).
Tout cela explique les erreurs des tout jeunes enfants. Les pauvres ! Comment sauraient-ils qu’un oiseau n’est pas un « n-oiseau » ? Que les ours ne sont pas des « z-ours » ? Et que le petit avion n’est pas un petit « t-avion » ? C’est en entrant à l’école qu’ils découvrent ces mots dans leur forme écrite. Et que la perception qu’ils en avaient jusque-là commence à se modifier. 
Souvenons-nous, aussi, que le sujet a toujours suscité des débats passionnés, comme le rappellent Maria Candea et Laélia Véron. En 1687, par exemple, un certain Jean Hindret soutenait qu’il faut dire « en Nollande » et non « en /Hollande ». En avançant cet argument qu’il croyait définitif : « Rien ne donne une plus grande idée de grossièreté et de mauvaise éducation d’une personne ». Convention ridicule ? A nos yeux, oui. Mais sans doute pas plus que ne le paraîtront nos propres conventions aux oreilles des francophones du XXVè siècle…
(1)  Parler comme jamais, Maria Candea et Laélia Véron, Le Robert-Binge. Livre réalisé à partir du podcast Parler comme jamais. 
(2)  Le meilleur des bonbons sur la langue, Muriel Gilbert, Editions Vuibert. 

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