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Sur le bout des langues, chronique de Michel Feltin-Palas – AFAL

Sur le bout des langues, chronique de Michel Feltin-Palas

L’AFAL vous informe :

« En danger », « langue de la liberté »… Neuf idées reçues sur le françaisL’école dispense aux élèves une certaine culture littéraire, mais aucune culture linguistique. D’où les nombreuses bourdes proférées sur le sujet. Florilège.
Ce fut dit sur un ton sympathique, mais sans l’ombre d’une hésitation. En septembre 2017, Emmanuel Macron affirme à propos de l’ordonnance de Villers-Cotterêts, signée par François Ier en 1539 : « A ce moment-là (…), le roi a décidé que tous ceux qui vivaient dans son royaume devaient parler français ». Incroyable bévue ! En réalité, cette fameuse ordonnance s’est contentée de chasser le latin des actes de justice (1). En revanche, elle se moquait comme de colin-tampon de savoir quelle langue utilisaient les Français pour converser.

Imaginez maintenant que notre chef de l’Etat commette la même bourde dans des domaines comme l’économie ou la diplomatie : cela ferait à coup sûr les gros titres des journaux et le déconsidérerait pour la fonction présidentielle. Là ? A peine un entrefilet en page 32, et encore. Car, en la matière, l’ignorance est généralisée. Il est vrai que, si l’école s’efforce d’initier les élèves à Molière, Voltaire et Balzac – ce en quoi elle a bien raison – elle ne dispense à ses élèves aucune culture linguistique. La preuve avec ces quelques idées reçues qui circulent à propos de notre langue nationale.

« Les rois de France ont toujours parlé français. » Evidemment pas. Sans remonter à Vercingétorix, qui s’exprimait en gaulois, les premiers « rois de France » furent les Mérovingiens et des Carolingiens. Or ceux-ci avaient pour langue maternelle des idiomes germaniques : le francique pour Clovis et le tudesque pour Charlemagne. Le premier monarque à parler « français » (ancien français, plus exactement) fut Hugues Capet, qui monta sur le trône en 987. 

« C’est à Tours qu’on parle le français le plus pur. » Voilà l’une des affirmations que l’on entend le plus souvent en cette matière. A tort. Le mythe est né au XVIe siècle quand un grammairien… anglais, Jehan Palsgrave, asséna cette « vérité » dans un traité intitulé L’esclarcissement de la langue françoyse. L’explication ? Sous la Renaissance, la cour est itinérante et passe une grande partie de son temps dans les châteaux de la Loire. C’est donc évidemment la prononciation des aristocrates venus de Paris et non celle des paysans tourangeaux que Palsgrave juge la « meilleure ». Car hier comme aujourd’hui, la règle est toujours la même : l’accent prétendument « neutre » est celui de la classe sociale au pouvoir.

« Le français est une langue en danger. » Aucunement. Certes, sur la planète, notre langue nationale est dominée par l’anglais. Certes encore, une partie de ses « élites » recourt à qui mieux mieux aux anglicismes. Mais cela ne doit pas tromper. Avec quelque 270 millions de francophones, jamais le français n’a compté autant de locuteurs. Mieux encore : ce nombre devrait doubler dans les décennies qui viennent. Ce qui vaut mieux, on l’admettra, que de figurer dans la liste des quelque 2000 langues menacées de disparition.

« Ce qui n’est pas clair n’est pas français » (Antoine de Rivarol). J’ai déjà consacré une chronique à ce sujet. Citons ici simplement des phrases comme « Je loue mon appartement » ; « Je suis votre hôte » ou « Cet avocat est pourri » et l’on admettra que cette affirmation est pour le moins sujette à débat.

« Le français assure l’égalité entre les citoyens ». Que penseriez-vous si je vous disais que « l’alsacien assure l’égalité entre les citoyens » ? Il est probable que vous trouveriez ce postulat outrageusement avantageux pour les Alsaciens – et vous n’auriez pas tort. Curieusement, la France est donc parvenue à doter une seule de ses nombreuses langues – celle de Paris, le siège du pouvoir – de toutes les fonctions de prestige (administration, études, médias, etc.) ; à en priver les autres et à présenter cette mesure fondamentalement inégalitaire comme une mesure d' »égalité ». Merveille de la rhétorique…

« Le français est la langue de la liberté. » Encore une erreur ! Certes, le français fut la langue de la Révolution et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais dois-je rappeler qu’elle fut aussi la langue… de l’Ancien Régime ? De même, notre idiome national fut par la suite à la fois la langue du colonialisme et de l’anticolonialisme, des dreyfusards et des antidreyfusards, de la Résistance et de la collaboration… En réalité, les langues ne portent aucune valeur. Chacune peut être mise au service de n’importe quelle idée, des plus fraternelles aux plus détestables.

« L’Académie française est composée de linguistes ». Pas du tout ! On y compte pour l’essentiel des écrivains, des historiens, des philosophes, des hauts fonctionnaires, sans oublier un ancien ministre, un biologiste et un évêque. Seuls deux philologues disposent de solides connaissances linguistiques : Barbara Cassin et Michel Zink. 

« Le français se dégrade. » Non, le français évolue, ce qui est très différent. Bien sûr, ces évolutions résultent parfois de véritables erreurs (j’ai déjà expliqué dans cette lettre comment un « ombril » est devenu fautivement un « nombril »). Mais tel est le propre de toutes les langues vivantes. C’est d’ailleurs le latin tardif de nos ancêtres, c’est-à-dire un latin truffé d' »erreurs » par rapport au latin classique de Cicéron, qui a fini par déboucher sur l’ancien français. Et c’est cet ancien français qui, à la suite de multiples modifications, a abouti à notre français actuel. Lequel évoluera encore dans les siècles à venir…

« Les Français ont toujours parlé français. » Si cela est aujourd’hui le cas (à l’exception des immigrés de fraîche date et de quelques régions de Mayotte ou de Wallis-et-Futuna), ce phénomène est tout à fait nouveau, et même inédit dans la longue histoire de notre pays. Du temps de François Ier – élève Macron, soyez attentif ! – seuls 10 % à 20 % des sujets du roi maîtrisaient la langue du roi. Un pourcentage qui atteindra péniblement 20 % sous la Révolution et qui n’aurait franchi la barre des 50 % qu’aux alentours de la Première Guerre mondiale. Ce qui permet de rappeler que la France est un pays multilingue.Concluons. Loin de moi l’idée de dénigrer le français, qui est ma langue maternelle et que j’adore. Simplement n’est-il pas inutile de distinguer la vérité scientifique du simple chauvinisme linguistique. Un défaut au demeurant largement répandu sur la planète…(1) Pour le reste, les spécialistes sont divisés : certains considèrent qu’il s’agissait de remplacer le latin par le français, d’autre part les langues comprises par le peuple, quelles qu’elles soient.

À LIRE AILLEURS

Apprentissage de la lecture : la méthode syllabique marque des points Ce mode de lecture est prôné par le ministre de l’Education nationale depuis son arrivée rue de Grenelle. Les expérimentations sur le terrain comme les avancées des neurosciences semblent lui donner raison.

L’Alsace et le Tyrol du sud : une comparaison édifiante L’Alsace est une région de langue germanique dans un pays de langue latine, la France. Le Sud-Tyrol est une région de langue germanique dans un autre pays de langue latine, l’Italie. Alors que les situations linguistiques dans ces deux régions étaient sensiblement les mêmes avant 1918, elles diffèrent aujourd’hui du tout au tout. L’alsacien est en déclin rapide alors que le Tyrol du sud connaît un réel bilinguisme allemand-italien. L’explication est simple : les droits culturels des minorités sont mieux respectés en Italie qu’en France, comme l’a souligné la juriste Anna Wolf lors d’une conférence organisée par « Culture et bilinguisme d’Alsace et de Moselle – René Schickele »

.Paul Molac nouveau président de l’Office public de la langue bretonnePaul Molac, conseiller régional, député du Morbihan et auteur de la loi de promotion des langues régionales (en partie censurée par le Conseil constitutionnel) vient d’être élu président de l’Office public de la langue bretonne. Il succède à ce poste à Lena Louarn, qui le dirigeait depuis 1999.

Comme on dîne chez nousUn tour de France des noms de plats et des expressions culinaires, par le linguiste spécialiste des variétés régionales du français, Mathieu Avanzi.

Participez au concours Dicos d’or CampusLa troisième édition du concours francophone de vocabulaire est lancée. Organisée par la Fondation Voltaire et Lire Magazine littéraire, cette initiative s’adresse aux enseignants et aux élèves de la 6e à la seconde, et bénéficie du soutien de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (ministère de la Culture).

Dites « école supérieure » et non graduate school Telle est la recommandation de la Commission d’enrichissement de la langue française. Elle suggère également « école magistrale et doctorale ».

« Pourquoi la France reconnut ses « langues » (dont le picard). Enfin… »Tel est le thème de la conférence que donnera le linguiste Bernard Cerquiglini, ancien délégué général à la langue française et aux langues de France (c’est lui qui a fait ajouter « de France ») le samedi 23 octobre à 15 heures, au théâtre Chés Cabotans d’Amiens. C’est là l’un des très nombreux événements recensés ou organisés par l’agence régionale de la langue picarde. Renseignements au 03.22.71.17.00 ou par courriel contact@languepicarde.fr

L’érotisme dans la littérature en basqueLa Maison des langues de Bayonne a organisé le 2 octobre la première de ses sessions littéraires en basque sur le thème de l’érotisme. Une manière d’aider les participants à « écrire l’intime ». Une manière, aussi, de briser les clichés sur la littérature en euskara en montrant que toutes les langues peuvent tout exprimer.

À REGARDER

Le latin de nouveau langue de l’Europe ? Après mon article du 28 septembre consacré au « nouveau latin », j’ai reçu de Jean-Paul Alexis cette vidéo qui, déjà, promouvait le latin comme langue de l’Europe.

Corsica, par Petru Guelfucci Souvent présenté comme l’une des plus belles voix de Corse, le chanteur Petru Gulfucci est décédé à Marseille. Il était notamment auteur et interprète de la chanson Corsica, où l’on entend ici, et membre fondateur du groupe Canta U Populu Corsu.In un scornu di lu mondu, (Dans un recoin du monde,)Ci hè un lucucciu tenerezza, (Il est un petit coin de tendresse,)Ind’u mio core, maestosu, (Qui dans mon coeur, majestueux,)Imbalsama di purezza. (Embaume de pureté.)Ghjuvellu di maraviglie, (Joyau des merveilles)Ùn ne circate sumiglie, (N’en cherchez pas de semblable,)Ùn truverete la para, (Vous n’en trouverez pas de pareil)Ghjè ùnica, sola è cara, (Elle est unique, seule et chère,)Corsica.Face sempre tant’inviglia (Il fait toujours tellement envie,)Ssu scogliu ciottu in mare, (Ce rocher dans la mer,)Tesoru chì spampilla (Trésor étincelant)Sacru cume un altare. (Sacré comme un autel.)Calma, dolce cum’agnella, (Calme, douce comme un agneau,)Generosa è accugliente, (Généreuse et accueillante,)Si rivolta è si ribella (Elle se révolte et se rebelle)S’omu disprezza a so ghjente, (Si l’on méprise les siens)CorsicaParoliers : C. Mac-daniel / P. Guelfucci

Réagissez, débattez et trouvez plus d’infos sur les langues de France en me rejoignant sur LA PAGE FACEBOOK DEDIEE A CETTE LETTRE D’INFORMATION 
 « La Grande Grammaire du français », ce livre imposant qui a mobilisé les meilleurs linguistesActes Sud lance un ouvrage phénoménal, véritable lieu de mémoire, qui, loin des diktats des puristes de la syntaxe, met en valeur tous les usages, écrits, oraux et sur Internet, de France et d’au-delà. LIRE >  Réforme de l’orthographe: les dictionnaires ont tranchéAlors que la réforme de l’orthographe suscite toujours une importante controverse, comment les dictionnaires ont-ils choisi, pour 2017, entre nénuphar et nénufar, oignon ou ognon? Enquête. LIRE >    Vous avez des découvertes, des suggestions, des réactions ?
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